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Félix-Marcel Castan

Poète de langue dʼÒc, historien de la littérature et de la civilisation occitane, penseur et acteur de la décentralisation culturelle en France.

Eléments biographiques

Félix CASTAN naît le 1er Juillet 1920 à Labastide-Murat (46). Son père est ingénieur aux Ponts et Chaussées, sa mère professeur de français. Lʼoccitan est la langue maternelle de son père (il apprend le français à lʼécole). Sa mère le comprend mais refuse de le parler. 

Son enfance se passe à Moissac (82). Mais la crue du Tarn en 1930 va détruire la maison familiale. Un an après, la famille sʼinstalle à Montauban, 30, rue de la Banque. Lʼadaptation à cette nouvelle vie est difficile pour la mère, Hélène. Elle sombre dans une profonde dépression. Félix a alors 12 ans. Il se rend compte que la seule chose qui rende le sourire à sa mère est de parler de littérature.

Car sa mère écrit et lui apprend la versification. En 1935, nous trouvons son premier cahier de 17 poèmes en vers classiques (en langue française). Ce qui frappe le plus, cʼest la maîtrise du lyrisme : peu dʼétats dʼâme, par contre un sens déjà aiguisé de la critique...

À cette époque il découvre un auteur pour lequel il gardera jusquʼà la fin de sa vie un sentiment de fraternité profonde : Germain Nouveau.

Il passe un baccalauréat « Math.élèm » pour faire plaisir à son père puis le bac « Philo ». Sa mère lʼenvoie donc à Paris en Khâgne à Louis Le Grand. À cette époque, il rêve de partir aux Etats Unis.

En mai 1939, il tombe malade et se retrouve à Labastide-Murat chez sa grand-mère. Il ne sera rétabli quʼà la fin de lʼannée 1940 : de là date sa passion pour la langue et la littérature occitanes.

Il trouve une embauche à Léribosc. Mais il lui faut partir aux Chantiers de Jeunesse, service obligatoire. Il s’en va en octobre 1941 à Castillon en Couserans, avec une adresse en poche (M. André Barrès, à Orignac près de Bagnères de Bigorre, membre du PCF, qui professe un marxisme chrétien). Cʼest auprès de cet homme qu’il découvre le marxisme et le communisme.

Libéré en 1942, il revient à Léribosc où on lui a gardé sa place dʼouvrier agricole. Il a toutes ses soirées pour lire, écrire, entretenir ses correspondances : le groupe de Montauban (les poètes Malrieu et Albouy), les peintres Marcelle Dulaut et Lapoujade, la philosophe Odette Penot. Avec eux, il découvrira le jazz chez Panassié. Dʼautre part, il est en correspondance régulière avec les occitanistes : Ismaël Girard, René Nelli, Max Rouquette, Robert Lafont. En décembre 1944, nous le retrouvons engagé volontaire, encaserné à Montauban dans le 1er bataillon de marche dit bataillon Cottaz - 2ème Compagnie. Il adhère au Parti Communiste.

En avril 1945, il participe aux combats de la Pointe de Grave puis le bataillon remonte vers Strasbourg. En décembre 1945, Félix Castan contracte une deuxième longue maladie et passe quelques mois entre la vie et la mort. En 1946, il est guéri. Il rentre à Montauban où il est censé préparer le concours de lʼEcole Normale d’instituteurs.

Un grand projet lʼanime en 1946-47 : rassembler tous les poètes français et occitans dʼOccitanie en une publication en hommage à Joë Bousquet. Malgré le soutien de Bousquet et de Marcenac, ce projet ne verra jamais le jour... Cʼest sûrement la première désillusion. Mais le travail a été fait et on peut penser que le fameux numéro spécial dʼOc de 1948 dont il est le rédacteur en chef en est le prolongement. Pour la partie française nʼapparaissent que quatre textes publiés sous le titre Montauban-Epopée (Éd. Mòstra, 1979). Il y donne un texte daté de 1944 quʼil considérait comme son dernier texte en langue française. Il contient toute son adhésion à la langue occitane.

Dans les années 50, lʼaction militante au Parti Communiste lʼoccupe particulièrement au travers dʼune amitié indéfectible avec le journaliste Maurice Oustrières.

Cʼest à cette époque que débute la relation amoureuse avec Marcelle Dulaut. Elle est peintre. Cʼest elle qui illustre son recueil qui paraît dans la collection Messatges en 1951. Ils se marient en décembre 1953.

Quelques mois auparavant, ils organisent au Musée Ingres de Montauban une exposition rétrospective de lʼœuvre de Lucien Andrieu. Félix Castan y donne une conférence importante, publiée en 1954 dans lʼalbum qui suit lʼexposition. Sur la lancée, le Groupe « Art Nouveau » se constitue : organisateur du Salon du Sud-Ouest (lʼancêtre de la Mòstra del Larzac). De 1954 à 1963, il organise avec Marcelle Dulaut qui en est la directrice artistique le Salon du Sud-Ouest qui deviendra la Mostra del Larzac de 1969 à 1997.

La première structure est née : dans le domaine des arts plastiques. Lʼidée du Festival de Montauban, qu’il animera plusieurs années durant, est déjà en germe. Sa sœur, Jeanne, inscrite au Cours Dulin après la guerre, est devenue comédienne. Une lettre de janvier 54 témoigne de lʼintérêt quʼils portent à Antoine Dubernard, auteur de théâtre occitan (limousin) sur lequel elle travaille... Jeanne sʼorientera finalement vers le théâtre du Siglo de Oro espagnol pour créer le Festival dʼArt Dramatique de Montauban en 1957. En parallèle, Félix Castan prévoit une Biennale Occitane de Poésie.

En 1958, apparaît la quatrième structure créée par Castan : le Forum de la Décentralisation. Félix Castan, organisateur et théoricien de lʼaction culturelle, acteur farouchement autonome, se réinstalle à Montauban où il devient professeur de français au Collège de la Fobio, alors que Marcelle Dulaut est professeur de dessin au Lycée Michelet. Le poète reste seul avec son travail. Il se sait mal compris par ses amis intellectuels de jeunesse. Ascèse définitive : silencieusement, il poursuit son œuvre. Nous savons quʼen 1959, il a déjà entamé la série des Prophéties (sus la Patz), qui seront publiées dans le recueil Jorn en 1972.

1962 voit naître un projet qui le passionnera : une agence de publicité qui pourrait financer une maison dʼédition occitane ! Tout est prévu, les financements sont prêts... au dernier moment, lʼassocié inquiet de ce choix dʼédition le lâche... lʼOccitanie crée décidément bien des problèmes!..

En 1964, Art Nouveau perd son lieu dʼexposition. Il se réfugie au Château de Nérac. Commence alors la recherche dʼun lieu (qui sera la Mòstra del Larzac) et dʼun financement autonome : un collectage de vanneries traditionnelles à partir du travail de lʼethnologue Maurice Robert, qui le passionne et le met en contact avec de nombreux locuteurs naturels.

En 1965 éclate une violente crise interne du comité du Festival de Montauban, qui se poursuit au tribunal (des contrats avaient été signés conjointement auprès de plusieurs compagnies par des membres différents et tous ne pouvaient être honorés). Jeanne, Félix, Marcelle et quelques autres membres sont exclus de lʼassociation. Jeanne perd sa santé, Félix sʼarc-boute jusquʼau jugement, où lui, sa sœur et son épouse sont réhabilités, réhabilitation qui laisse pourtant le Festival exsangue.

Il crée la même année le Centre International de Recherches et de Synthèse du Baroque et, dans ce cadre, il dirige la revue Baroque (Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Toulouse 1965). Plus tard, le C.N.R.S., le Centre National des Lettres et les Editions Cocagne deviennent partie prenante. La revue deviendra Lucter en 1971.

Sa mère décède au printemps 1966 dʼune longe maladie. Il lui dédie l’« Oda a ma maire » publiée dans Jorn.

Dans les années 1960, il crée la revue Cocagne (revue dʼactualité culturelle).

En 1968 : il prend une retraite anticipée et commence à réhabiliter (il y faudra plus de 5 ans) l’ancien relais de poste qui deviendra la Mostra del Larzac.

1969 marque la première exposition de la Mostra del Larzac au milieu des travaux inachevés. Notons que les statuts de la Mostra comportent une section "édition". Pierre Viaud est responsable de la mise en page, Félix Castan du choix dʼédition. Tous les deux porteront au jour la publication complète et définitive de lʼœuvre de Roger Milliot (salué par Seghers dans son Anthologie des Poètes Maudits, grâce à la parution in extremis du livre). Milliot était un ami très proche, familier de la maison, associé de Marcelle Dulaut dans un atelier de modelage et de dessin pour enfants. Il accroche les expos dʼArt Nouveau. Il se suicide en 1968, laissant une œuvre poétique brève et dense.

L’édition de cette œuvre est la première réussite éditoriale de Félix Castan. Dʼautres viendront : Rien de Bernard Derrieu, Lo plag de Max Allier…

De 1969 à 1973, le Festival de Montauban survit contre toute attente. Les subsides ont très sensiblement diminué : le Ministère nʼappuie plus une action qui a été perturbée par les conflits internes. Les rêves de production de cette époque ne seront jamais réalisés : entre autre La Tragédie du Roi Christophe dʼAimé Césaire...

En 1971, la revue Cocagne devient Lucter.

Après le décès brutal de Marcelle Dulaut au printemps 1978, la Mostra perdure sous sa première forme (rassembler et confronter toutes les tendances) jusquʼen 1983. Par la suite, elle sʼapplique à montrer et étudier une tendance ou un groupe particulier. En 1983 les éditions Mostra sont ainsi transmises aux Éditions Cocagne aujourdʼhui responsables de lʼédition de son œuvre. A la fin des années 1980, Félix Castan entame son travail sur lʼœuvre dʼOlympe de Gouges dont beaucoup reste à publier.

Il achève sa vie auprès de sa compagne Betty Daël, directrice des Editions Cocagne. Ils se marient en 1998.


Les dix dernières années de sa vie, il réfléchit à une histoire de la lyrique occidentale depuis les origines. Il relit par exemple Grégoire de Narek, les grands poètes de langue arabe...

Il décède le 22 Janvier 2001.

Terminons avec une citation extraite dʼHétérodoxies : « La loi véritable de la vie culturelle nʼest pas une loi unitariste. Lʼ universalité porte, inscrite dans ses gènes, la multiculturalité : on pense trop souvent, naïvement, la culture en termes statiques, espaces vides, masses immobiles... Son patrimoine génétique assure lʼinfini renouvellement, la dialectique créatrice des cultures. Il nʼy a de culture que dans une permanente genèse de la diversité par la diversité. »

Engagement dans la renaissance d'oc

Félix Castan découvre la littérature occitane en 1939 durant sa maladie à Labastide-Murat à travers les œuvres de Cubaynes et Perbosc, grâce à des livres que lui porte l’instituteur du village. Il prend contact avec Cubaynes en février 1940 (la réponse de Cubaynes est datée de février 1940).

Début 1941, il rentre à Montauban où il apprend à ses parents, sidérés, quʼil veut devenir ouvrier agricole pour apprendre la langue dʼOc. Il rencontre Ismaël Girard en 1942, Nelli en 1943, ainsi que Lafont, Max Rouquette...

En 1945, juste avant le combat de la Pointe de Grave, il envoie 200 F. à Girard pour la constitution de lʼI E O.

Ses débuts dʼécriture poétique en langue dʼoc datent des années 1940. Il envoie ses textes à Perbosc qui lui répond en janvier 43.
Il est rédacteur en chef de la revue Òc de 1948 à 1954.
Il participe à la réflexion et à la mise en place de l’IEO : méthodes de travail, pédagogie, critique littéraire…

En 1954, à l’Assemblée générale de Montpellier, Castan critique la pensée économiste

En 1954, il abandonne la rédaction dʼÒc.

En 1957, il signe avec Manciet la déclaration de Nérac.

En 1963, il présente une motion dʼunité à lʼAssemblée Générale de lʼIEO. Cette motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Génerale fait partie du Manifèst Eretge, qui sera imprimé le 4 Août 1966, mais jamais diffusé.

Le 6 septembre 1964, à l’Assemblée générale de l’IEO à Decazeville, Girard, Castan et Manciet sont exclus de l’IEO. Le montage de textes intitulé Manifèst Erètge tend à faire comprendre la position des trois exclus de l’IEO. Cette exclusion est très douloureuse pour Félix Castan qui n’en continue pas moins l’action culturelle entreprise depuis les années 1950.

De 1954 à 1963, il organise avec Marcelle Dulaut qui en est la directrice artistique le Salon du Sud-Ouest qui deviendra la Mostra del Larzac de 1969 à 1997, implantée aux Infruts (La Couvertoirade 12230 La Cavalerie), lieu d’expositions dʼarts plastiques et de vannerie traditionnelle, représentatives de lʼart dʼavant-garde et de la tradition occitane. Dans la belle maison caussenarde, ex relais de poste, il fait visiter les expositions et aime échanger avec les visiteurs de passage. De nombreuses années, le 15 août, il y organise des débats culturels qui rassemblent créateurs (peintres et écrivains) et acteurs de l’occitanisme. Un de ces débats est par exemple retranscrit dans le n° 33/34 de la revue Mòstra.

En 1957, dans le cadre du Festival de Montauban qui deviendra en 1974, le Festival dʼOccitanie, il crée les Biennales de Poésie Occitane (1957, 1959, 1961) « où se confronteront des poètes de langue française et des poètes de langue dʼoc ». Lʼidée de cette Biennale découle directement de la fameuse Déclaration de Nérac.

En 1959, Félix appelle les écrivains dʼOc à signer cette Déclaration en prévision de la deuxième Biennale de 1960 où se rencontreront français, occitans et espagnols. La 3ème et dernière Biennale aura lieu en 1962 (rencontre poésie / cinéma expérimental).

En 1972, il édite son recueil Jorn : six longs textes dont deux odes, deux satires et deux prophéties datés de 1959 à 1966. Les prophéties font référence au prophète de la Bible Amos, issu du peuple et surtout critique de lʼinstitution religieuse et politique...
Ces textes donnent matière au film de Michel Gayraud Mas paraulas dison quicòm.

Si le recueil ne contient que six textes, nous pouvons affirmer que la production fut beaucoup plus importante : il existe par exemple une « Ode à la Ville », une « Ode à Garonne »...

Bien sûr les Editions Mostra nʼauront jamais la capacité financière de diffusion.

1973 voit la rencontre de Castan et André Benedetto. La chanson occitane apparaît au festival, qui se réoriente, se nomme Festival dʼOccitanie, devient pluridisciplinaire.

En 1983, il fonde le Forum dʼOccitanie qui chapeaute toutes ces structures, plus le Forum des Identités Communales, Caméra Libératrice et les Editions Cocagne.

À la fin de sa vie, il met en place son épopée Epos-Ethos où la légende familiale qui a bercé son enfance lui sert de point dʼappui : ses deux parents s’étaient trouvés orphelins très jeunes.

Tout au long de son existence, Félix Castan a construit en parallèle une œuvre poétique en langue dʼoc, une œuvre d'essayiste sur la décentralisation culturelle, une œuvre dʼhistorien de la culture occitane.

Grau, Pierre

Homme de lettres. Membre de la Societat d'Estudis Occitans (SEO), puis de l’Institut d'Estudis Occitans (IEO), actif à Marseille aux côtés de Pierre Rouquette.

Eléments biographiques :

Émile Carbon est né le 29 mai 1898 à Agde, fils de Carbon Marie Joseph, capitaine au long cours, âgé de 26 ans et de son épouse Alengry Idalie Louise Marthe, sans profession, âgée de 25 ans. Son frère cadet, Roger Carbon, participera aux aventures éditoriales de son aîné. Émile Carbon fait ses études au lycée de Montpellier, puis à la Faculté des Lettres et à la Faculté de Droit de Montpellier. Licencié ès lettres, il présente une thèse pour le doctorat ès sciences juridiques sous le titre « le désaveu de paternité ». Il épouse à Montpellier le 7 décembre 1925 Suzanne Marie Gabrielle Bonnier ; ils auront trois enfants.

Si les études de droit déterminent son cursus professionnel, les lettres sont sa passion. Émile et son frère font partie de cette cohorte de jeunes, de la première moitié du XXe siècle, passionnés de poésie et plus largement de littérature, qui fondent et animent de nombreuses revues littéraires, dans lesquelles ils voient un moyen de débuter une carrière qui fera d’eux des « hommes de lettres ». Étudiant, Carbon collabore (successivement ou en même temps) à trois revues de jeunes à Montpellier, c’est le début d’une passion qui ne le quittera plus.
En 1915 il est directeur de la revue L'Effort des jeunes. Il est incorporé en avril 1917 au 81e Régiment d’Infanterie. Il collabore à La Lanterne de Diogène, « organe bimensuel des étudiants de Montpellier » (n° 1, 1917-n° 45, juin 1920), tout en étant cymbalier du régiment. Fusiller mitrailleur, son attitude courageuse lui vaut d’être cité à l’ordre de la Brigade. Il est blessé au combat en septembre 1918 et décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Il collabore également à Erato, « journal littéraire et régionaliste, organe de l’Association régionale des Lycéens », dont son frère est l’administrateur. Cette publication éphémère (5 numéros entre janvier et Pâques 1919), dont le premier a été tiré à mille exemplaires, réunit un certain nombre de jeunes qui deviendront des personnalités montpelliéraines. L’association Erato propose aussi des conférences, par exemple d’Émile Carbon sur « le caractère français des chansons de geste » et sur « Verlaine » ; de Roger Carbon sur « René Bazin » et « Edmond Rostand ». Notons qu’en dépit de l’étiquette « régionaliste », on cherche en vain un mot occitan dans la publication.
Quelques années plus tard, Émile Carbon prend une part prépondérante dans la publication d'une rare plaquette anthologique : Les Amitiés Languedociennes, Imp. Firmin et Montane, 83 p., 25,7 cm X 16,7, 1925, illustrée de 2 bois d’Henri Martin, textes de Paul Valéry, Jean Catel, J S Pons, A. J. Thomas, Henri Bernard, Bernard Latzarius, Jean Cocteau, Jean Camp, Yves-Blanc, Paul Castela, Delpont-Delascabras, Henri Chabrol… Lui-même y donne des « Prières devant le Christ de Saint-Jean de Perpignan ».
Ses créations littéraires en français sont éclectiques ; nous relevons un article dans Comoedia (Paris) du 19 mai 1935 : « On crée, à Marseille, au "Rideau Gris" une pièce en un acte d’André Gide », un roman : Le cordonnet de soie, aux Editions Gallimard, collection Détective, 248 p., 1937. Emile Carbon est également le coscénariste et dialoguiste du film Cap au large, sorti le 25 septembre 1942, du réalisateur Jean-Paul Paulin. Ce film de 84 mn, produit par Francinalp-Films, a été tourné à Gruissan (Aude). En 1953, Émile Carbon collabore également à La Provence merveilleuse, des légendes chrétiennes aux santons (Albert Detaille, in-4, 145 p., illustré, avec préface de Jean Giono).
Lorsque Lazare de Gérin-Ricard, en 1953, lance la revue Thalassa, à Marseille, il invite ses amis, en particulier les anciens de la Revue de Catalogne, à collaborer.
Si, à l’origine, la revue bimensuelle a une grande ambition internationale et reçoit la collaboration de plumes célèbres, elle décline assez vite et réduit sa voilure à la Provence, devenant le lieu de publication d’une cohorte d’amis de jeunesse aux idéaux littéraires fanés. Émile Carbon (qui y tient la chronique dramatique) la définira, pour sa part, comme « ce témoin des jours anciens et de notre petite troupe amicale dont la plupart des membres ont rejoint la Maison du Père », un témoin « qu’il faut sauvegarder ». La revue disparaît en 1965.
Émile Carbon reçoit la décoration de Chevalier de la Légion d’Honneur le 21 mai 1952 en même temps que Pierre Rouquette reçoit la Cigale de Majoral et la distinction d’Officier d’Académie (les entités invitantes sont le Centre Provençal de l’IEO, les groupes félibréens et provençaux de Marseille et le mouvement fédéraliste « la Fédération », de Marseille).
Émile Carbon est brièvement professeur au lycée de Montpellier. On le retrouve Directeur de la Caisse d’Epargne. C’est certainement pour des raisons professionnelles qu’il quitte Montpellier pour Marseille, où il devient directeur d’une société d’Habitations à Bon Marché (vers 1930). Il a dû y faire carrière, car en 1968 une de ses lettres porte en en-tête : « Société anonyme régionale d’habitations à loyer modéré de Marseille, siège social : 21, rue Maréchal-Fayolle».

Engagement dans la renaissance d’Oc :

En l’état actuel de notre documentation l’engagement occitaniste d’Émile Carbon nous semble étroitement lié à son amitié avec un acteur essentiel de la cause d’oc en Provence, Pierre Rouquette. En effet à Marseille il se lie d’amitié durable avec cet avocat, homme de lettres et occitaniste, qui anima la revue La Coupo (21 numéros entre février 1918 et octobre 1919). Émile Carbon participera à toutes les initiatives lancées par ce dernier dans le champ occitan.
En 1926 on le trouve aux côtés de P. Rouquette à la création des « Amitiés méditerranéennes », à Marseille, qui s'intéressent à la vie et à la culture catalanes, et regroupent des personnalités comme le compositeur Pierre G. Bourgoin, l'helléniste Guastalla, le peintre Valère Bernard, etc. en liaison avec la Fundació Bernat Metge, l’équivalent catalan de l’Association française Guillaume Budé, pour la traduction, l’édition et la promotion des classiques gréco-romains. Lors de leur rencontre à Barcelone, P. Rouquette et le directeur de la Fundació Bernat Metge, Joan Estelrich, conçoivent une revue en langue française pour faire connaître la culture catalane en Europe, avec la collaboration d’hommes de lettres et d’artistes catalans et français, et l’appui financier de Francesc Cambó, homme d’affaires, mécène et homme politique catalan de premier plan. Ainsi naît le 25 mars 1929 à Marseille La Revue de Catalogne. P. Rouquette en est le directeur littéraire, avec l’aide de ses amis des Amitiés Méditerranéennes : Émile Carbon comme rédacteur en chef, René Guastalla administrateur, Roger Carbon et Lazare de Gérin-Ricard secrétaires de rédaction. En dépit de la qualité du contenu et du soutien financier du mécène, la parution de la revue s’interrompt après son cinquième numéro (1er août 1929), à cause de l’insuffisance des abonnements.

Émile Carbon n’a pas laissé une œuvre en provençal (à titre anecdotique, signalons qu’il a dédié à son ami un poème en provençal, graphie mistralienne : « Dins nostre cami », trois quatrains, « Per lou Peire ambé moun affecioun », datés de Marsilho 1/1/1938). Il s’en explique : « Excuse moi de te répondre dans la langue des conquérants mais si je peux parler la nôtre sans trop de ridicule je ne la possède malheureusement pas assez pour y mouler ma pensée en l’écrivant » (2/05/1939). Dans cette même lettre il dit ne pas avoir la « flamme dévoratrice » de son ami, mais se dit « patriote provençal » et juge « intéressantes » les propositions de Robert Fabre-Luce de création « d’un mouvement de néo-provincialisme » (proche du séparatisme) développées dans Marseille-Matin du 3 ou 4 mai 1939. Les frères Carbon sont adhérents à la Societat d’Estudis Occitans (SEO), fondée en 1930, et revitalisée en 1939 par le catalan en exil Josep Carbonell. À cette date Émile fait partie de la délégation de la SEO de Marseille, aux côtés de Émile Bodin, Charles Camproux, Antoni Conio, Paul Eyssavel, Jorgi Reboul, Paul Ricard et Pèire-Joan Roudin (Pierre Rouquette). Son nom « Émile Carbon, doctor en Droit » (sic) figure dans la liste des membres du Conseil d’Administration dans le papier à lettres de la SEO de 1939.
À la Libération est fondé à Toulouse l’Institut d’Estudis Occitans (IEO), qui prendra la suite de la SEO. Lorsque P. Rouquette crée à Marseille sa section provençale, le « Centre Provençal de l’IEO », É. Carbon le rejoint. Dans les années 1945-1950, tandis que P. Rouquette donne des cours publics hebdomadaires de provençal et des causeries à Radio-Provence, É. Carbon, qualifié par son ami d’ « incomparable animateur », lance un « Cercle Occitan », avec une formule d’apéritifs littéraires hebdomadaires, tout en participant au cycle des « Œuvres racontées » (Mistral et Mireille, Calendal par exemple). Il donne également des conférences ou des causeries : par exemple sur l’œuvre poétique de René Nelli le 13 avril 1953 ; une « Introduction à l’Art Roman » dans le cycle médiéval en 1960-61, une conférence sur Manolo Hugué à la Maison Gasconne en février 1978… Car le Centre se veut un foyer de culture humaniste, non seulement provençal, mais ouvert à toute l’Occitanie, Catalogne comprise, embrassant tous les aspects de la culture. C’est aussi un lieu de diffusion des idées régionalistes et de débats. Ainsi fait-il un exposé le 12 janvier 1953 sur le Néo-Régionalisme qui sera suivi de débats, et un autre intitulé « Qu’est-ce que l’Occitanisme ? » au Foyer Massalia dans les années 1970.

Pendant plusieurs décennies Émile Carbon est donc un proche collaborateur de Pierre Rouquette. Il est membre du Conseil d’Administration du Centre Provençal, ainsi que Amédée Muset, professeur d’espagnol, et Mme Maïthé Pin-Dabadie femme de lettres partageant sa vie entre Bagnères-de-Bigorre et Marseille. Il en est un temps le vice-président et c’est à ce titre qu’il présente le conférencier Robert Lafont venu parler de la Grenade entr’ouverte le 14 octobre 1960. Il est abonné à Oc et aux Annales de l’IEO, et participe financièrement à la Cause, tout en étant membre du Conseil d’Études de l’IEO (cf. listes de 1947, 1949 et 1962). Tout naturellement É. Carbon collabore à L’Ase negre, « organ occitanista mesadier », successeur d’Occitania, fondé par le trio Robert Lafont, Léon Cordes et Hélène Cabanes en 1946. Ainsi il écrit par exemple en éditorial en première page du n° 7, de février-mars 1947, « Faire Province ». En 1955 il participe avec P. Rouquette, Pierre-Louis Berthaud, Robert Lafont et un certain Gérard (dont le prénom est inconnu) au projet (inabouti) de publication Présentation de la Provence que devait réaliser l’IEO. Cette initiative fait suite à la parution l’année précédente de la brochure Présentation du Languedoc, à laquelle ont collaboré Charles Camproux, Max Rouquette, Robert Lafont, Max Allier, Léon Cordes… avec préface de Jean Cassou.

En 1963, il vient de prendre la retraite quand il lit dans Oc le début du roman de Jean Boudou, Lo Libre dels grands jorns, qui l’impressionne favorablement : « J’admire non sans quelque nostalgie ces jeunes », dit-il et il constate avec tristesse que, pour sa part, il « est un écrivain mort jeune ». (corr du 13/08/1963 adressée à Pierre Rouquette).
Dans les années 1960-1970 la question de la régionalisation anime les débats publics auxquels participe le Centre Provençal. Dans le sillage de mai 1968, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de militants, le mouvement occitan se radicalise. Cette évolution est mal acceptée par le Conseil d’administration du Centre Provençal (dont fait partie Carbon), partisan d’un régionalisme humaniste. Le Centre provençal quitte l’IEO et prend le nom de « Centre Provençal de Culture Occitane ». Il explique publiquement les raisons de cette rupture dans une feuille intitulée « Occitanisme et Marxisme, une mise au point du Centre Provençal de Culture Occitane » (ronéotée, sans date ni signatures) qui réaffirme son « régionalisme humaniste », et s’élève contre la « prétention » de certains occitanistes « d’analyser la situation du Peuple d’Oc dans une optique de lutte des classes et d’établir ainsi une étroite relation entre l’Occitanisme et le Marxisme ».
Boutan, Pierre

Savinian est le principal pédagogue du Félibrige du XIXème et du début du XXème s.

Autres formes du nom

Lhermite, Joseph (nom à l'État civil)

Frère Savinien

Savinien, ou Savinian en occitan est le nom en religion de Joseph Lhermite

Pseudonymes connus

René Montaut

Éléments biographiques

Élève des Frères des Écoles chrétiennes (la principale congrégation enseignante) à Villeneuve, commence son noviciat à Avignon en 1857, et reçoit le nom de Frère Savinien-Joseph. Enseignant à Alès de 1860 à 1872 (sauf 1862 passée à Uzès).

Le Frère Troyen, directeur, fait donner à ses Frères des leçons par les professeurs du lycée. En 1872, à 28 ans, il est chargé de la première classe de l’école publique des Ortolans à Avignon.

En 1882, il devient directeur de l’école des Frères à Arles, et installe les Frères dans de nouveaux locaux (8 classes et 11 Frères, 319 élèves), après la laïcisation de l’école publique.

À partir de 1896, il est nommé « visiteur » (inspecteur) des Écoles chrétiennes du district d’Avignon.

En 1901 il est appelé à l’« institut technique » (dixit J. Flamme, maison centrale des Frères, Institut de Mérode 1) de Rome où il dirige l’enseignement du français.

Revenu en France, il dirige comme frère sécularisé, après l’interdiction des congrégations enseignantes en 1904, sous son nom de Joseph Lhermite, le pensionnat de Bourg-Saint-Andéol. En 1907, il dirige la grande école professionnelle de Lyon. En 1908, il rejoint Avignon comme inspecteur, puis voyage aux Baléares où s’était reformé son district d’Avignon. En 1912, il se rend à Paris pour revendiquer les droits des anciens religieux, puis se retire à la maison de retraite des frères d’Avignon, au moment où est suspendue l’interdiction à la suite de « l’Union sacrée ». Après guerre, il voyage en Italie, Belgique, Angleterre, Espagne (1919).

Botaniste, archéologue, peintre à ses heures, il connaissait les langues anciennes et cinq langues modernes.

Engagement dans la renaissance d'oc

Ranquet est un ami d’enfance. Dès 1857, il connaît Roumanille à Avignon. Il fait la connaissance de Frédéric Mistral en 1871, à l’occasion du mariage d’Arnavielle à Alès. Mistral lui fait connaître l’ouvrage de Michel Bréal, déjà professeur au Collège de France, Quelques mots sur l’instruction publique en France, publié avec succès en 1872, et qui prône l’usage des « patois » pour apprendre le français, peut-être à l’occasion de la venue de Bréal à Montpellier en 1875, lors du congrès de la Société des Langues Romanes. Savinien utilisera ensuite systématiquement des citations de Bréal, et notamment son discours devant les instituteurs à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, où il se déclare, en présence du ministre, « ami des patois ».

1. Un projet original…

Un « prospectus » de 1875 montre que le projet de Savinien est déjà assez avancé à cette époque, et qu’il a obtenu l’accord de sa hiérarchie congréganiste.

« Vous pourrez apprécier vous-même ce travail, par la traduction d’un poème de Mistral : "les Saintes", que vous trouverez ci-joint.

Les élèves qui s’inspireront à une source si belle et si pure acquerront des avantages précieux qu’il leur était impossible d’obtenir en étudiant la grammaire ou le style selon la méthode des pensionnats et des cours professionnels.

Celle que j’ai essayée, consiste à faire une version immédiate, sans être obligé de lire en provençal ; après l’explication d’une strophe de huit vers ou d’un fragment de prose ayant à peu près la même étendue, l’élève traduit à la maison ce devoir journalier et le lendemain le professeur corrige les deux ou trois premières copies ainsi que les deux ou trois dernières, puis il fait écrire au net et par toute la classe, la traduction insérée à la fin du livre du maître. »2

Toujours en 1875, Savinien s’adresse au ministre pour obtenir une autorisation officielle d’usage d’un « livre classique provençal » (sans doute le Recueil des versions pour servir à l’enseignement du français), qui lui est refusée « J’ai transmis à M. le Ministre […] la demande du frère Lhermite à l’effet d’obtenir l’autorisation d’introduire dans les écoles publiques un livre classique provençal. Il m’a été impossible d’appuyer cette demande, parce que, en pareille matière, l’abus est trop près de l’usage. Si la langue provençale est enseignée dans les écoles, le français en souffrira plus qu’il n’y gagnera, et nous ne pourrons point répondre que tel instituteur ne sacrifiera pas à peu près complètement l’idiome de France à celui de Provence, surtout à une époque où l’on s’efforce de donner à ce dernier une importance un peu exagérée. Le Picard, surtout le bas breton et beaucoup d’autres parlers plus ou moins savants, auraient bientôt pénétré dans la place, une fois la brèche ouverte. » Source : AD Vaucluse 1 T 197, « Dossiers personnel congréganiste - Joseph Lhermite », lettre du recteur Charles Zevort à l’inspecteur d’académie, 5 juillet 1875. Savinien fera état dans la préface de son deuxième ouvrage de 1878 (le premier concernant les élèves les plus âgés) du fait qu’il a utilisé le réseau méridional des écoles des Frères pour essayer son procédé :

« La troisième partie du Recueil des versions provençales a été mise à l’essai dans quelques classes pendant deux ans et la réussite a démontré que, de Nice à Bayonne et de Perpignan à Limoges, on pourrait obtenir de notables progrès par cette nouvelle méthode. Plusieurs inspecteurs primaires l’ont recommandée à leurs instituteurs »,

ce qui reste vague en l’état. Y sont aussi développés les avantages de la traduction dans trois directions : pour l’orthographe, pour le style, pour la morale patriotique, avec citations de Michel Bréal à l’appui 4.

Bréal figure aussi dans la préface au titre des « témoignages d’approbation », avec cette citation, qui a l’air cependant d’être tirée d’une correspondance de courtoisie : « Vous verrez que cette méthode sera suivie jusque sur les bords de la Loire. »

La congrégation laisse faire visiblement, et présente à l’Exposition universelle de 1878 des « versions flamandes et provençales »5, signe que Savinien a étendu sa « méthode » au-delà du Midi par l’intermédiaire des Frères.

Un article de 1881 6 souligne que les réticences existent aussi de ce côté-là : « N’allez pas croire pourtant que les congréganistes aient tressé des couronnes à leur confrère, créateur de ce système plein d’attrait et d’un succès bien constaté. Mon Dieu, non !

Rien n’est plus long et ne rencontre plus d’obstacle que la marche progressive de la pédagogie. C’est une souveraine un peu routinière, solidement établie sur un trône séculaire. L’Université 7, les institutions congréganistes la soutiennent à la fois, et, empressées dans les hommages qu’elles lui rendent, elles forment une barrière que le progrès ne peut pas toujours franchir. Voilà ce qui est arrivé, mais l’Université comme les congrégations, toutes agissent avec une pure bonne foi, et nous espérons que, se rendant mieux compte des services que la découverte à laquelle nous faisons allusion doit rendre à l’enseignement, elles l’appelleront en aide au français qui végète à l’école primaire. »

La publication de la Grammaire provençale en 1882 montre que Savinien a lu aussi la Grammaire historique de Brachet (1867), dont il réutilise le plan, non sans s’inspirer de la Grammaire générale de Port-Royal, marquant ainsi le retard de ses références, au moment où justement l’inadaptation pédagogique de la grammaire historique pour le primaire devient patente8.

En 1884, Savinien présente devant le Conseil supérieur de la Congrégation des Frères son projet d’apprentissage du français par traduction du provençal9, avec une lettre de soutien de Mistral : « Vous êtes armé de toutes pièces. Nul en France ne pourrait apporter, dans la discussion de l’enseignement primaire, des arguments plus neufs et plus expérimentés. Le grand vice du système qui ne tient pas compte des dialectes populaires, c’est de faire le vide dans le cerveau des enfants du peuple en remplaçant les assimilations naturelles et spontanées de l’intelligence enfantine par un bagage factice et essentiellement fugitif de notions disparates qui, en dehors des quatre règles, seront en général inutiles à l’écolier. Vos élèves sont destinés pour la plupart à devenir laboureurs, ouvriers, forgerons, maçons, etc. c’est-à-dire à vivre dans les milieux où la langue populaire leur sera indispensable soit pour la technologie traditionnelle, soit pour les rapports sociaux. Et l’on s’évertue à chasser de ces jeunes cervelles les éléments de compréhension et de sociabilité indigène qui s’y étaient naturellement amassés ! C’est de la folie ! C’est comme si on s’amusait à vider un œuf pour remplacer par des mixtions chimiques le contenu fécond que la nature y déposa. »10

On n’a pas d’information sur le résultat, mais la Congrégation, qui a ses propres manuels, se garde de faire entrer dans son catalogue les ouvrages de Savinien.

Savinien est nommé majoral en 1886.

2. La polémique avec Bréal

Invité par le félibrige parisien en 1890 à faire le discours de Sceaux11, Bréal va s’en prendre au procédé de Savinien.

« […] Je ne crois pas que le dialecte doive faire partie du programme officiel de l’école. Il y a quelques années, un félibre, d’ailleurs bien intentionné, a proposé, pour les écoles du Midi, des thèmes provençaux et des versions provençales. Faut-il appliquer au parler natif les méthodes savantes qui nous permettent à grand-peine de retenir quelques mots de latin et de grec ! Je ne le pense pas. A ceux qui savent le dialecte, ces exercices paraîtraient trop faciles, et ils n’apprendraient pas grand-chose à ceux qui ne le savent pas. Il faut désirer que l’idiome paternel ne rappelle à nos enfants que des souvenirs sans mélange. Mais ce que nous avons le droit de demander, c’est que l’instituteur ait la considération qui convient pour un langage français, et qui, bien qu’il ne soit pas le langage officiel, n’en a pas moins ses lois régulières : si le maître est bien inspiré, il le fera intervenir de temps en temps pour éclairer un mot, pour montrer une parenté, pour laisser entrevoir une origine. Il n’en faut pas plus : on dissipera ainsi les préventions et l’on rectifiera les idées fausses. C’est le plus sûr moyen de faire respecter et aimer nos vieux idiomes provinciaux. »12

Partisan déterminé de la méthode directe pour apprendre les langues vivantes, Bréal, après la polémique de 1888 entre Mistral et Sarcey, faisant renaître l’accusation de séparatisme, doit aussi tenir compte de ce contexte.

Savinien va répondre dans deux journaux parisiens, L’Etendard et Le Constitutionnel du 2 septembre 1890, soit plusieurs mois après le discours de Sceaux de Bréal : et, de plus, les deux feuilles ultra-catholiques ont un tirage confidentiel13 :

« Depuis bientôt quinze ans, M. Bréal connaît cette méthode, il a eu mainte occasion de se prononcer contre son introduction dans l’école, jamais, que nous sachions, il n’a fait entendre un mot contradictoire dans la presse ou dans des conférences ; et c’est après cette longue période d’une élaboration locale dont il resta toujours éloigné, sans pouvoir ainsi être initié aux avantages de la découverte, qu’il en déclare l’inutilité. Mais il se heurte à l’adhésion d’un directeur d’école du département des Landes qui écrit à l’auteur des versions : "Je vais composer les mêmes livres pour le dialecte gascon", à celle d’un rédacteur du journal pédagogique de Nîmes, disant : "avec votre système, vous avez pleinement raison", à l’approbation du jury de Londres qui accorda un diplôme d’honneur en participation, portant la mention très bien, à l’exposition scolaire de Digne qui décerna une médaille d’or.

Tout cela est bien fait pour laisser à M. Bréal des doutes sur la sévérité de son exécution, et nous n’appelons pas en témoignage tous les partisans de la traduction classique ; ils sont nombreux, et ils ne manquent point de compétence, dans l’enseignement secondaire, soit celui de l’Université, soit celui des écoles libres. Au fond, de quoi s’agit-il ? De traduire les chefs-d’œuvre d’une langue pour mieux apprendre le français ; au collège, c’est la méthode des enfants du riche, à l’école primaire, ce sera celle des enfants de nos classes laborieuses. Par ce temps de démocratie et d’égalité raisonnable, procéder différemment serait chose fâcheuse.

Ou la traduction est bonne ou elle ne vaut rien ; si la méthode est fausse, d’où vient que vous la maintenez avec les collégiens ; si vous la jugez réellement utile, pourquoi la proscrire dans les classes des familles populaires ?»

Après quelques mots de dépit, Savinien oppose à son illustre critique des références pratiques en sa faveur dont il n’a pas l’air de mesurer le caractère très limité. Son argumentation sociologique est plus originale, surtout dans des journaux dont le souci démocratique n’est pas le plus habituel.

Pour autant, la lettre de Prosper Estieu* à Savinien du 17 janvier 1893 montre que le réseau félibréen lui permet d’entrer en contact avec de jeunes maîtres de l’enseignement public, comme Estieu* et Perbosc* qui ont entendu parler de sa méthode :

« Comme vous, je voudrais, de concert avec mon ami Perbosc, publier un système complet d’enseignement de la langue pour nos écoles et nos familles haut-languedociennes. Nous ne pourrions le faire qu’en nous inspirant — et nous le proclamerions — de vos travaux que nous voudrions bien connaître en totalité.»14

Cependant le projet de semble pas avoir eu de suite.

1896 va être une année marquante. D’une part, Savinien, grâce à la complicité des Montpelliérains du Félibrige latin Roque-Ferrier* et Augustin Gazier*, va participer au congrès annuel des Sociétés savantes qui se tient à la Sorbonne, pour y présenter sa méthode (4 avril)15. C’est l’occasion pour Albert Bayet, directeur de l’enseignement primaire16, qui le reçoit, de tenir des propos favorables, ensuite fréquemment cités : «je ne vois pas pourquoi les inspecteurs d’académie s’opposeraient à l’emploi de votre méthode ! »

De son côté, lors de son passage à Paris à la maison généralice devant la commission des livres, Savinien obtient l’autorisation du Frère Joseph, Supérieur général.

Cependant, Bréal s’en prend à Savinien, directement cette fois, dans une entrevue publiée dans L’Éclair de Paris du 11 avril 1896. La réponse de Savinien, dont nous avons un manuscrit, semble n’avoir pas été envoyée (cf. Boutan, 2003). Mais c’est surtout le congrès d’Avignon du 27 septembre 1896, qui regroupe semble-t-il pour la première fois, plusieurs des partisans des langues minoritaires bretons et basques, pour rendre leur place « à la chaire, à la tribune et à l’école », qui suscite un intérêt national17. La « méthode savinienne », sans être directement nommée, sert précisément de référence.

L’Exposition universelle de 1900, où les Frères obtiennent plusieurs dizaines de prix, est l’occasion pour eux de présenter la « méthode bilingue »18 du Frère Savinien, qui est associée à celle du Frère Constantin (Constantius) de Landivisiau pour le breton.

La période de 1901 à 1904 va être beaucoup moins bénéfique, puisque les congrégations enseignantes vont finir par être interdites. Et c’est en 1901 que le Conseil supérieur des Frères publie en deux gros volumes des Eléments de pédagogie pratique intégrant en appendice19 avec grande prudence une partie des propositions saviniennes, en évitant tout ce qui pourrait être contraire aux textes officiels.

3. L’après enseignement

La publication de La Lionide qui finit par avoir lieu en 191120, épopée de plus de 500 pages sur la défense de la chrétienté face aux musulmans, permet de taire la croisade albigeoise. Elle fait l’objet de commentaires élogieux non seulement de Mistral, mais aussi de Maurras et de Barrès, sans que l’on puisse affirmer que cela provoque un réel succès d’édition.

Désormais déchargé d’activités d’enseignement, Joseph Lhermite continue à intervenir pour faire rétablir par le Conseil général du Vaucluse une chaire d’histoire de la Provence (1910), puis milite pour que soit créé un Institut provençal, idée avancée par Mistral (1913), assure des cours publics de provençal jusqu’en 1919. Frédéric Mistral neveu, qui fut son élève, lui consacre plusieurs articles après son décès dans sa revue Le Feu, repris dans Et nous verrons Berre, tout comme Armand Praviel (cf. biblio.).

« Croire et dire qu’il réussit serait bien osé, car il eut à lutter presque toujours, et à la fois, contre l’ignorance, la routine et même la jalousie. » (Et nous verrons Berre, p. 20)

 

1. La Croix, 14 janvier 1902.

2.

In Recueil LE 5792, p. 1-2.

4.« L’élève qui arrive à l’école, parlant son provençal, est traité comme s’il n’apportait rien avec lui [… avec « provençal » substitué à « patois »] », ou, propos directement inspirés par Bréal : « [l’élève] trouvera plus de douceur à son foyer, plus de charmes et plus de grandeur à sa Province et il en aimera davantage la France […] ».

P XXXV, Grammaire provençale.

La date précise n’est malheureusement pas claire dans le recueil LE 5792, p. 4. Savinien y réfute les déclarations du député d’Aix « ultra radical » Edouard Lockroy, qui avait dit à la Chambre : « Il existe encore ça et là certains patois ou dialectes qui sont restés comme les épaves des nationalités disparues, Eh bien ! les congrégations et l’Eglise s’étudient à faire revivre ces dialectes, à les conserver, à leur redonner l’existence, à empêcher la langue française de les détruire en se propageant. »

 

7.Le terme alors désigne l’ensemble des membres de l’enseignement public, sans distinction de niveau.

 

8.Boutan (2009).

 

9.Pièce 11 du Recueil « Principales brochures… » : Félibrige / Occitania Revue mensuelle publiée à Montpellier par la Maintenance du Languedoc/ tome premier/ Année 1888 Août/ Montpellier : Imprimerie centrale du Midi /1888, pp 285-304.

Article occupant les pp. 285 à 297 : « De l’Utilisation des dialectes provinciaux pour l’enseignement du français », signé S, avec en exergue : « Le patois (le dialecte provincial) est le plus utile auxiliaire de l’enseignement du français ». Michel BRÉAL. A la fin on trouve l’addition suivante : « L’étude que l’on vient de lire remonte déjà à plusieurs années ; elle fut adressée en manuscrit à M. Frédéric Mistral qui répondit à l’auteur par la lettre suivante [suit la lettre du 24 janvier 1884 qui fait allusion à l’exposé devant le « Comité supérieur de votre ordre », soit la lettre publiée dans L’étoile du Midi d’Arles en 1884, voir LE 5792, p. 19, lettre citée ci-dessous].

10.L’étoile [du Midi], Arles, 27 janvier 1884.

11. Le Félibrige parisien se réunit tous les ans à Sceaux, en l’honneur du méridional Florian, et invite une personnalité : Renan, France, Simon…

12. Texte cité d’après la Revue Félibrénne, 1890, p. 157.

13. LE 5792, p. 55. Le même recueil (p. 115) contient une lettre de félicitation d’Arnavielle, du 21 sept 1890 : « Avès remouchina Moussu Breal, tout Moussu Breal que siègue, e avès bèn fa. » « Vous avez mouché Monsieur Bréal, tout Monsieur Bréal qu’il soit, et vous avez bien fait. »

14. Lettre en français, signée Prosper l’Eté. Recueil LE 5792 (p. 79).

15. Une lettre d’approbation de la méthode signée par Léon XIII datant de 1894ouvre le texte, avant une préface de Mistral, publié à Montpellier en 1902 (cf. Bibliographie).

16. Où il succède à Ferdinand Buisson.

17. L’événement a fait l’objet d’articles dans vingt journaux parisiens et quatorze journaux de province, indique le Manuel général (« Les dialectes locaux à l’école », 14 novembre 1896, p. 403, article signé A. B.)

18. Dixit le supplément de La Croix du 8 août 1900, « Educateurs populaires », signé A. C. Si l’on se fie au moteur de recherche de Gallica, c’est la première fois que le nom de Savinien est cité dans le grand journal catholique (créé en 1880).

19. Éléments de pédagogie pratique à l’usage des frères des Ecoles chrétiennes I Partie générale Paris Procure générale 1901 442 p ; Éléments de pédagogie pratique à l’usage des frères des Ecoles chrétiennes II Paris Procure générale 1901 514 p.

Voir le prospectus de souscription  (document CEDRHE, prospectus inséré dans un tiré à part de la revue Lou rampeu, Lou prouvençau a l’escolo, Veisoun, C. Roux, 1909).

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Castan, Anne
Poète de langue dʼÒc, historien de la littérature et de la civilisation occitane, penseur et acteur de la décentralisation culturelle en France.

Autres formes du nom

Félix CASTAN
A lʼétat civil, il se prénomme Félix (en souvenir de son arrière-grand-père paternel), Paul (en souvenir de son grand-père maternel), Marcel (en souvenir de la meilleure amie de sa mère).

A partir de 1978 (année du décès de son épouse Marcelle Dulaut), il signera Félix-Marcel Castan. Dans les chroniques nécrologiques, on trouve aussi la graphie « Castanh ».

Éléments biographiques

Félix CASTAN naît le 1er Juillet 1920 à Labastide-Murat (46). Son père est ingénieur aux Ponts et Chaussées, sa mère professeur de français. Lʼoccitan est la langue maternelle de son père (il apprend le français à lʼécole). Sa mère le comprend mais refuse de le parler.

Son enfance se passe à Moissac (82). Mais la crue du Tarn en 1930 va détruire la maison familiale. Un an après, la famille sʼinstalle à Montauban, 30, rue de la Banque. Lʼadaptation à cette nouvelle vie est difficile pour la mère, Hélène. Elle sombre dans une profonde dépression. Félix a alors 12 ans. Il se rend compte que la seule chose qui rende le sourire à sa mère est de parler de littérature.

Car sa mère écrit et lui apprend la versification. En 1935, nous trouvons son premier cahier de 17 poèmes en vers classiques (en langue française). Ce qui frappe le plus, cʼest la maîtrise du lyrisme : peu dʼétats dʼâme, par contre un sens déjà aiguisé de la critique...

À cette époque il découvre un auteur pour lequel il gardera jusquʼà la fin de sa vie un sentiment de fraternité profonde : Germain Nouveau.

Il passe un baccalauréat « Math.élèm » pour faire plaisir à son père puis le bac « Philo ». Sa mère lʼenvoie donc à Paris en Khâgne à Louis Le Grand. À cette époque, il rêve de partir aux Etats Unis.

En mai 1939, il tombe malade et se retrouve à Labastide-Murat chez sa grand-mère. Il ne sera rétabli quʼà la fin de lʼannée 1940 : de là date sa passion pour la langue et la littérature occitanes.

Il trouve une embauche à Léribosc. Mais il lui faut partir aux Chantiers de Jeunesse, service obligatoire. Il s’en va en octobre 1941 à Castillon en Couserans, avec une adresse en poche (M. André Barrès, à Orignac près de Bagnères de Bigorre, membre du PCF, qui professe un marxisme chrétien). Cʼest auprès de cet homme qu’il découvre le marxisme et le communisme.

Libéré en 1942, il revient à Léribosc où on lui a gardé sa place dʼouvrier agricole. Il a toutes ses soirées pour lire, écrire, entretenir ses correspondances : le groupe de Montauban (les poètes Malrieu et Albouy), les peintres Marcelle Dulaut et Lapoujade, la philosophe Odette Penot. Avec eux, il découvrira le jazz chez Panassié. Dʼautre part, il est en correspondance régulière avec les occitanistes : Ismaël Girard, René Nelli, Max Rouquette, Robert Lafont. En décembre 1944, nous le retrouvons engagé volontaire, encaserné à Montauban dans le 1er bataillon de marche dit bataillon Cottaz - 2ème Compagnie. Il adhère au Parti Communiste.

En avril 1945, il participe aux combats de la Pointe de Grave puis le bataillon remonte vers Strasbourg. En décembre 1945, Félix Castan contracte une deuxième longue maladie et passe quelques mois entre la vie et la mort. En 1946, il est guéri. Il rentre à Montauban où il est censé préparer le concours de lʼEcole Normale d’instituteurs.

Un grand projet lʼanime en 1946-47 : rassembler tous les poètes français et occitans dʼOccitanie en une publication en hommage à Joë Bousquet. Malgré le soutien de Bousquet et de Marcenac, ce projet ne verra jamais le jour... Cʼest sûrement la première désillusion. Mais le travail a été fait et on peut penser que le fameux numéro spécial dʼOc de 1948 dont il est le rédacteur en chef en est le prolongement. Pour la partie française nʼapparaissent que quatre textes publiés sous le titre Montauban-Epopée (Éd. Mòstra, 1979). Il y donne un texte daté de 1944 quʼil considérait comme son dernier texte en langue française. Il contient toute son adhésion à la langue occitane.

Dans les années 50, lʼaction militante au Parti Communiste lʼoccupe particulièrement au travers dʼune amitié indéfectible avec le journaliste Maurice Oustrières.

Cʼest à cette époque que débute la relation amoureuse avec Marcelle Dulaut. Elle est peintre. Cʼest elle qui illustre son recueil qui paraît dans la collection Messatges en 1951. Ils se marient en décembre 1953.

Quelques mois auparavant, ils organisent au Musée Ingres de Montauban une exposition rétrospective de lʼœuvre de Lucien Andrieu. Félix Castan y donne une conférence importante, publiée en 1954 dans lʼalbum qui suit lʼexposition. Sur la lancée, le Groupe « Art Nouveau » se constitue : organisateur du Salon du Sud-Ouest (lʼancêtre de la Mòstra del Larzac). De 1954 à 1963, il organise avec Marcelle Dulaut qui en est la directrice artistique le Salon du Sud-Ouest qui deviendra la Mostra del Larzac de 1969 à 1997.

La première structure est née : dans le domaine des arts plastiques. Lʼidée du Festival de Montauban, qu’il animera plusieurs années durant, est déjà en germe. Sa sœur, Jeanne, inscrite au Cours Dulin après la guerre, est devenue comédienne. Une lettre de janvier 54 témoigne de lʼintérêt quʼils portent à Antoine Dubernard, auteur de théâtre occitan (limousin) sur lequel elle travaille... Jeanne sʼorientera finalement vers le théâtre du Siglo de Oro espagnol pour créer le Festival dʼArt Dramatique de Montauban en 1957. En parallèle, Félix Castan prévoit une Biennale Occitane de Poésie.

En 1958, apparaît la quatrième structure créée par Castan : le Forum de la Décentralisation. Félix Castan, organisateur et théoricien de lʼaction culturelle, acteur farouchement autonome, se réinstalle à Montauban où il devient professeur de français au Collège de la Fobio, alors que Marcelle Dulaut est professeur de dessin au Lycée Michelet. Le poète reste seul avec son travail. Il se sait mal compris par ses amis intellectuels de jeunesse. Ascèse définitive : silencieusement, il poursuit son œuvre. Nous savons quʼen 1959, il a déjà entamé la série des Prophéties (sus la Patz), qui seront publiées dans le recueil Jorn en 1972.

1962 voit naître un projet qui le passionnera : une agence de publicité qui pourrait financer une maison dʼédition occitane ! Tout est prévu, les financements sont prêts... au dernier moment, lʼassocié inquiet de ce choix dʼédition le lâche... lʼOccitanie crée décidément bien des problèmes!..

En 1964, Art Nouveau perd son lieu dʼexposition. Il se réfugie au Château de Nérac. Commence alors la recherche dʼun lieu (qui sera la Mòstra del Larzac) et dʼun financement autonome : un collectage de vanneries traditionnelles à partir du travail de lʼethnologue Maurice Robert, qui le passionne et le met en contact avec de nombreux locuteurs naturels.

En 1965 éclate une violente crise interne du comité du Festival de Montauban, qui se poursuit au tribunal (des contrats avaient été signés conjointement auprès de plusieurs compagnies par des membres différents et tous ne pouvaient être honorés). Jeanne, Félix, Marcelle et quelques autres membres sont exclus de lʼassociation. Jeanne perd sa santé, Félix sʼarc-boute jusquʼau jugement, où lui, sa sœur et son épouse sont réhabilités, réhabilitation qui laisse pourtant le Festival exsangue.

Il crée la même année le Centre International de Recherches et de Synthèse du Baroque et, dans ce cadre, il dirige la revue Baroque (Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Toulouse 1965). Plus tard, le C.N.R.S., le Centre National des Lettres et les Editions Cocagne deviennent partie prenante. La revue deviendra Lucter en 1971.

Sa mère décède au printemps 1966 dʼune longe maladie. Il lui dédie l’« Oda a ma maire » publiée dans Jorn.

Dans les années 1960, il crée la revue Cocagne (revue dʼactualité culturelle).

En 1968 : il prend une retraite anticipée et commence à réhabiliter (il y faudra plus de 5 ans) l’ancien relais de poste qui deviendra la Mostra del Larzac.

1969 marque la première exposition de la Mostra del Larzac au milieu des travaux inachevés. Notons que les statuts de la Mostra comportent une section "édition". Pierre Viaud est responsable de la mise en page, Félix Castan du choix dʼédition. Tous les deux porteront au jour la publication complète et définitive de lʼœuvre de Roger Milliot (salué par Seghers dans son Anthologie des Poètes Maudits, grâce à la parution in extremis du livre). Milliot était un ami très proche, familier de la maison, associé de Marcelle Dulaut dans un atelier de modelage et de dessin pour enfants. Il accroche les expos dʼArt Nouveau. Il se suicide en 1968, laissant une œuvre poétique brève et dense.

L’édition de cette œuvre est la première réussite éditoriale de Félix Castan. Dʼautres viendront : Rien de Bernard Derrieu, Lo plag de Max Allier…

De 1969 à 1973, le Festival de Montauban survit contre toute attente. Les subsides ont très sensiblement diminué : le Ministère nʼappuie plus une action qui a été perturbée par les conflits internes. Les rêves de production de cette époque ne seront jamais réalisés : entre autre La Tragédie du Roi Christophe dʼAimé Césaire...

En 1971, la revue Cocagne devient Lucter.

Après le décès brutal de Marcelle Dulaut au printemps 1978, la Mostra perdure sous sa première forme (rassembler et confronter toutes les tendances) jusquʼen 1983. Par la suite, elle sʼapplique à montrer et étudier une tendance ou un groupe particulier. En 1983 les éditions Mostra sont ainsi transmises aux Éditions Cocagne aujourdʼhui responsables de lʼédition de son œuvre. A la fin des années 1980, Félix Castan entame son travail sur lʼœuvre dʼOlympe de Gouges dont beaucoup reste à publier.

Il achève sa vie auprès de sa compagne Betty Daël, directrice des Editions Cocagne. Ils se marient en 1998.


Les dix dernières années de sa vie, il réfléchit à une histoire de la lyrique occidentale depuis les origines. Il relit par exemple Grégoire de Narek, les grands poètes de langue arabe...

Il décède le 22 Janvier 2001.

Terminons avec une citation extraite dʼHétérodoxies : « La loi véritable de la vie culturelle nʼest pas une loi unitariste. Lʼ universalité porte, inscrite dans ses gènes, la multiculturalité : on pense trop souvent, naïvement, la culture en termes statiques, espaces vides, masses immobiles... Son patrimoine génétique assure lʼinfini renouvellement, la dialectique créatrice des cultures. Il nʼy a de culture que dans une permanente genèse de la diversité par la diversité. »

Engagement dans la renaissance d'oc

Félix Castan découvre la littérature occitane en 1939 durant sa maladie à Labastide-Murat à travers les œuvres de Cubaynes et Perbosc, grâce à des livres que lui porte l’instituteur du village. Il prend contact avec Cubaynes en février 1940 (la réponse de Cubaynes est datée de février 1940).

Début 1941, il rentre à Montauban où il apprend à ses parents, sidérés, quʼil veut devenir ouvrier agricole pour apprendre la langue dʼOc. Il rencontre Ismaël Girard en 1942, Nelli en 1943, ainsi que Lafont, Max Rouquette...

En 1945, juste avant le combat de la Pointe de Grave, il envoie 200 F. à Girard pour la constitution de lʼI E O.

Ses débuts dʼécriture poétique en langue dʼoc datent des années 1940. Il envoie ses textes à Perbosc qui lui répond en janvier 43.
Il est rédacteur en chef de la revue Òc de 1948 à 1954.
Il participe à la réflexion et à la mise en place de l’IEO : méthodes de travail, pédagogie, critique littéraire…

En 1954, à l’Assemblée générale de Montpellier, Castan critique la pensée économiste

En 1954, il abandonne la rédaction dʼÒc.

En 1957, il signe avec Manciet la déclaration de Nérac.

En 1963, il présente une motion dʼunité à lʼAssemblée Générale de lʼIEO. Cette motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Génerale fait partie du Manifèst Eretge, qui sera imprimé le 4 Août 1966, mais jamais diffusé.

Le 6 septembre 1964, à l’Assemblée générale de l’IEO à Decazeville, Girard, Castan et Manciet sont exclus de l’IEO. Le montage de textes intitulé Manifèst Erètge tend à faire comprendre la position des trois exclus de l’IEO. Cette exclusion est très douloureuse pour Félix Castan qui n’en continue pas moins l’action culturelle entreprise depuis les années 1950.

De 1954 à 1963, il organise avec Marcelle Dulaut qui en est la directrice artistique le Salon du Sud-Ouest qui deviendra la Mostra del Larzac de 1969 à 1997, implantée aux Infruts (La Couvertoirade 12230 La Cavalerie), lieu d’expositions dʼarts plastiques et de vannerie traditionnelle, représentatives de lʼart dʼavant-garde et de la tradition occitane. Dans la belle maison caussenarde, ex relais de poste, il fait visiter les expositions et aime échanger avec les visiteurs de passage. De nombreuses années, le 15 août, il y organise des débats culturels qui rassemblent créateurs (peintres et écrivains) et acteurs de l’occitanisme. Un de ces débats est par exemple retranscrit dans le n° 33/34 de la revue Mòstra.

En 1957, dans le cadre du Festival de Montauban qui deviendra en 1974, le Festival dʼOccitanie, il crée les Biennales de Poésie Occitane (1957, 1959, 1961) « où se confronteront des poètes de langue française et des poètes de langue dʼoc ». Lʼidée de cette Biennale découle directement de la fameuse Déclaration de Nérac.

En 1959, Félix appelle les écrivains dʼOc à signer cette Déclaration en prévision de la deuxième Biennale de 1960 où se rencontreront français, occitans et espagnols. La 3ème et dernière Biennale aura lieu en 1962 (rencontre poésie / cinéma expérimental).

En 1972, il édite son recueil Jorn : six longs textes dont deux odes, deux satires et deux prophéties datés de 1959 à 1966. Les prophéties font référence au prophète de la Bible Amos, issu du peuple et surtout critique de lʼinstitution religieuse et politique...
Ces textes donnent matière au film de Michel Gayraud Mas paraulas dison quicòm.

Si le recueil ne contient que six textes, nous pouvons affirmer que la production fut beaucoup plus importante : il existe par exemple une « Ode à la Ville », une « Ode à Garonne »...

Bien sûr les Editions Mostra nʼauront jamais la capacité financière de diffusion.

1973 voit la rencontre de Castan et André Benedetto. La chanson occitane apparaît au festival, qui se réoriente, se nomme Festival dʼOccitanie, devient pluridisciplinaire.

En 1983, il fonde le Forum dʼOccitanie qui chapeaute toutes ces structures, plus le Forum des Identités Communales, Caméra Libératrice et les Editions Cocagne.

À la fin de sa vie, il met en place son épopée Epos-Ethos où la légende familiale qui a bercé son enfance lui sert de point dʼappui : ses deux parents s’étaient trouvés orphelins très jeunes.

Tout au long de son existence, Félix Castan a construit en parallèle une œuvre poétique en langue dʼoc, une œuvre d'essayiste sur la décentralisation culturelle, une œuvre dʼhistorien de la culture occitane